Disponibilité : Netflix Production : 2018 Réalisateur : Monty Wates Durée : 79 minutes
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Et si les champignons magiques étaient aussi efficaces que les antidépresseurs chimiques pour traiter la dépression chronique ? Ça n’a l’air de rien, mais dans la communauté scientifique, cette simple question a été une révolution. C’est justement cette hypothèse thérapeutique que pose le psychologue et neuroscientifique Robin Carhart-Harris dans Magic Medicine : des champignons contre la dépression.
Ses expériences au sein de l’Imperial College London ont beaucoup contribué à la visibilité de la psilocybine, à la fois par les conclusions qu’il formule et par les difficultés qu’il a rencontrées. Netflix propose un film touchant qui suit ce premier essai médical sur la psilocybine. Il se veut objectif et scientifique sans faire l’apologie des champignons magiques.
Des interdits tenaces
Pour beaucoup de personnes, la mise en ligne de Magic Medicine a été la porte d’entrée dans le monde des psychédéliques et de leur rôle potentiel dans le traitement du trouble dépressif. D’autres documentaires traitent d’ailleurs de substances hallucinogènes comme l’Ayahuasca, le Peyotl, le LSD ou de la MDMA.
4 ans de lutte pour expérimenter la psilocybine
Au-delà des expériences sur les patients souffrant de dépression, Monty Wates s’intéresse aussi à la difficulté pour le chercheur Robin Carhart-Harris d’obtenir les autorisations pour évaluer ses hypothèses. En effet, la psilocybine est un psychédélique encore interdit dans la plupart des pays du monde depuis les années 60 et 70.
Pour obtenir le droit d’en prescrire à une douzaine de volontaires et d’étudier comment l’altération de l’esprit peut faire l’objet d’un usage médical dans un cadre contrôlé, Robin Carhart-Harris s’est donc confronté aux institutions britanniques pendant plus de 3 ans. Il a finalement obtenu l’autorisation de mener ses expériences.
Un parti pris humain
On suit 3 hommes, britanniques, entre 35 et 60 ans, qui souffrent de dépression sévère, persistante et résistante aux traitements chimiques. Leur portrait s’étend sur 3 phases, avant, pendant et après l’expérience, et met l’accent sur les effets de la psilocybine dans leur quotidien.
Un vrai désespoir médical face à la dépression
La première force de ce documentaire sur les psychédéliques, c’est de laisser la parole aux personnes qui souffrent et de les laisser expliquer comment la dépression a progressivement gangréné leur vie et leurs relations sociales. Comme beaucoup de gens face à la dépression, ils sont dans une impasse depuis des années.
Chacun des 3 portraits est profondément émouvant et les images permettent de bien comprendre leur dénuement face à la maladie. Leur désespoir est déchirant et – quoi qu’on pense de l’expérience en elle-même – on aurait vraiment envie que ça marche, juste pour eux.
C’est, pour eux, l’occasion d’exprimer quels sont les espoirs qu’ils mettent dans un éventuel traitement à la psilocybine faute d’un autre traitement curatif.
L’expérience
Le chercheur de l’Imperial College London a proposé à une douzaine de personnes de prendre 2 dosages différents de psilocybine au cours de 2 séances et de rester sous surveillance professionnelle, à l’hôpital, durant les 6 heures suivant l’ingestion. Le film ne dit pas comment ont été sélectionnés les patients, mais tous semblent très motivés à consommer de la psilocybine.
Une cérémonie psychédélique dépourvue de mysticisme
Chaque patient est entouré de 2 chercheurs qui interagissent avec lui quand les manifestations psychédéliques démarrent. Ils le rassurent en cas d’inquiétude sur leurs hallucinations et alternent entre des moments d’échange et d’autres de silence.
Si l’on sent bien l’implication et l’empathie du chercheur avec les participants et leur famille, on s’interroge aussi sur le cadre de l’expérience, un peu froid : difficile de se sentir à l’aise dans une chambre d’hôpital. La décoration vaguement spirituelle et pas du tout mystique, bougie et tenture, apportée dans la pièce ne peut pas suffire à créer des conditions idéales de relaxation.
En cela, un rituel chamanique ancestral pourrait avoir de meilleurs effets : la mise en condition de l’esprit par une atmosphère émotionnelle ou mystique pourrait jouer le rôle de facilitateur psychologique favorable à la prise de psilocybine. Mais ces paramètres très subjectifs ne peuvent pas entrer dans le cadre d’une première série d’expériences scientifiques rigoureuses.
Un voyage qui mérite d’être encadré
Magic Medicine montre que les patients réagissent à la prise de psilocybine avec une intensité variable. On voit que les thématiques qui ressurgissent lors du voyage psychédélique sont parfois lourdes et liées à des traumatismes ou des douleurs infantiles. En effet, l’ingestion du champignon hallucinogène entraîne chez ces patients une altération de la conscience qui ravive des souvenirs enfuis au niveau inconscient. Sous la supervision du professionnel, les participants se confrontent donc à une partie cachée de leur esprit.
On comprend aussi qu’un encadrement est plus que nécessaire pour ramener les consommateurs vers une expérience sereine et que la prise de champignon psychédéliques ne devrait jamais se faire sans le contrôle d’un professionnel. Néanmoins, Robin Carhart-Harris et son équipe sont physiquement très proches de leur patient et interagissent beaucoup avec lui. On peut se demander si cette présence marquée n’empêche pas les participants de vraiment lâcher-prise.
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Quels effets de la psilocybine ?
Difficile de ne pas être troublé par l’histoire de ce père qui arrive à passer du temps avec sa femme et ses enfants alors qu’il avait perdu toute capacité à le faire. On mesure l’ampleur de ces drames silencieux lorsqu’on voit combien une simple balade ou un repas en famille représentent des sources d’émerveillement retrouvé. L’interview des enfants sur la maladie de leur père est un moment fort du reportage, mature et émouvant.
Sur les 3 patients, aucun n’est sauvé de ses symptômes après cette seule ingestion. Magic Medicine : des champignons contre la dépression ne vante pas la psilocybine comme remède miracle à la dépression.
Cependant, il pose les bases d’une réflexion plus profonde : après un travail personnel pour interpréter son voyage psychédélique, l’un des patients constate une réduction durable de certains symptômes. Le père de famille a repris une vie normale pendant plusieurs mois mais les effets du champignon se sont estompés. Quant au dernier, il a constaté des effets durant quelques jours puis une remontée rapide de son inconfort psychologique.
Un long voyage en perspective
Alors ? Est-ce que cela signifie que la prise répétée de champignons à psilocybine pourrait remplacer les antidépresseurs ? Est-ce que, sous l’influence de la psilocine, il sera un jour possible de se passer de psychopharmacologie quotidienne ? Ni le documentaire ni l’expérience ne peuvent encore trancher sur ces questions.
Les conclusions de Robin Carhart-Harris sont en faveur de la psilocybine mais ne constituent pas, à eux seuls, une preuve scientifique de l’efficacité de cette molécule psychoactive.
- Une semaine après l’ingestion, la quasi-totalité des patients reconnait une baisse significative de la dépression (baisse du score BDI de plus de 20 points pour 11 patients sur 12).
- 3 mois après l’expérience, ce sont encore 10 patients sur 12 qui traduisent une amélioration durable (baisse moyenne du score BDI de plus de 25 points pour 6 patients sur 12, et de 15 points pour 4 d’entre eux).
May 2016, The Lancet Psychiatry 3 | Auteurs : Robin L Carhart-Harris, Mark Bolstridge, James Rucker & Camilla Day
Que retenir après avoir vu Magic Medicine ?
Il faut tout d’abord saluer les plateformes de streamins dans le choix de diffuser ce documentaire. Car c’est un contenu original et de qualité qui saura intéresser les personnes curieuses de recherches scientifiques et de neurosciences.
Il s’inscrit uniquement dans un usage scientifique et médical sans chercher à banaliser les substances. Les risques de bad-trip ou les effets secondaires des champignons hallucinogènes sont réels, essentiellement pour les personnes souffrant de psychose ou en cas d’erreur de dosage.
Avec un propos mesuré et transparent, le réalisateur est loin d’encourager à la prise de psychédélique. Il propose une vision réaliste et ne cache pas les limites actuelles du traitement : il existe des participants qui résistent à la psilocybine et il faudra continuer à chercher pour espérer en maximiser les potentiels effets médicaux et mieux comprendre son influence sur les récepteurs de sérotonine, un neurotransmetteur en charge de la régulation de l’humeur, de la motivation et des émotions.
Quoi qu’il en soit, les résultats présentés sont marquants. Le scientifique décrit la prise unique de truffe à psilocybine comme une aide thérapeutique potentielle qu’il faut continuer à creuser et à expérimenter. Dans la mesure où elle n’est pas addictive et ne créé pas de dépendance, il serait peut-être erroné de ranger trop rapidement et sans nuance la psilocybine parmi les drogues hallucinogènes néfastes ou dangereuses. Si la consommation des champignons mérite probablement d’être réglementée, il n’est sans doute pas judicieux que les institutions empêchent la science de s’emparer du sujet à l’heure ou 4,4% de la population mondiale souffre de dépression.
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