D’après la World Health Organization, plus de 300 millions de personnes souffrent de dépression à travers le monde. En France, c’est 21% de la population et aux Etats Unis, 19%. Si ces chiffres sont en progression permanente depuis 50 ans, le mal n’est pas nouveau. La recherche de traitements antidépresseurs efficaces a donc toujours plus ou moins existé.
La dépression, un problème sans solution ?
Dans la médecine moderne, la dépression est définie comme un trouble de l’humeur caractérisé par une tristesse persistante, un manque d’intérêt ou de plaisir dans les activités quotidiennes et une perte d’énergie.
Des symptômes passagers pour certains mais pas pour ceux qui souffrent de dépression clinique. Dans cette forme sévère, ils sont constants et peuvent durer des semaines, des mois, voire des années. De plus, d’autres phénomènes peuvent accompagner cet état : perturbations du sommeil, de l’appétit, troubles de la concentration ou de la libido.
Son impact est non seulement ressenti par ceux qui en souffrent, mais aussi par leur entourage. C’est pourquoi la science est, depuis toujours, en quête de solutions durables pour améliorer la santé mentale des personnes dépressives.
Les traitements antidépresseurs
Dès la préhistoire, du Mexique à l’Algérie, plusieurs populations cherchent déjà à soulager les âmes tourmentées. Les pratiques traditionnelles permettent de comprendre comment fonctionnaient les rituels thérapeutiques à l’époque. Les chamanes envisagent la maladie comme la manifestation d’un esprit malfaisant qu’il faut éliminer du corps des patients. Pour cela, ils utilisent notamment les psychédéliques, champignons à psilocybine ou Ayahuasca, au cours de transes chamaniques.
Dans la Grèce Antique et sous l’Empire Romain, la médecine se spécialise et sort du domaine de la magie. Selon la théorie des humeurs développée par Hippocrate, le déséquilibre de l’un des quatre fluides corporels (sang, lymphe, bile jaune et bile noire) pouvait entraîner divers états mentaux ou physiques. En l’occurrence, la mélancolie était associée à un excès de bile noire.
Des médicaments découverts par hasard
Ce n’est que bien plus tard qu’arrivent les traitements antidépresseurs. Leur histoire remonte au milieu du 20e siècle. Le premier antidépresseur moderne, l’iproniazide, a été découvert accidentellement dans les années 1950. Développée pour combattre la tuberculose, la substance semblait rendre les patients exceptionnellement heureux.
Suite à cette découverte, les années 1950 et 1960 ont vu l’émergence d’autres classes d’antidépresseurs, notamment les tricycliques comme l’imipramine, et les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO). Cependant, ces médicaments avaient de nombreux effets secondaires et des interactions dangereuses qui ont poussé les chercheurs à continuer leurs investigations.
L’avènement des ISRS
C’est dans les années 1980 que les traitements modernes ont vu le jour. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) comme le Prozac deviennent la figure de proue du traitement de la dépression et plus récemment du traitement du Trouble Obsessionnel Compulsif. Dans le monde médical, c’est une révolution : ils sont mieux tolérés et ont moins d’effets secondaires que leurs prédécesseurs. Depuis lors, diverses autres classes d’antidépresseurs ont été développées, comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-norépinéphrine (ISRN).
La psilocybine chez les personnes dépressives
Des patients résistants au traitement
Les médicaments agissant sur le déséquilibre chimique du cerveau représentent souvent la première réponse médicale à la dépression. Cependant tous les patients ne répondent pas à ces traitements et il existe des craintes sur les conséquences pour la santé de l’utilisation de telles prescriptions sur le long terme (risque accru de crise cardiaque ou d’AVC).
Ces imperfections conduisent à la recherche de nouvelles méthodes thérapeutiques, telles que la psilocybine. À mesure des nouvelles recherches, la molécule est ainsi plébiscitée pour ses effets potentiels sur la dépression. Depuis une dizaine d’années, on trouve ainsi des retraites psychédéliques légales ou des solutions de microdosage de psilocybine pour aider les personnes dépressives dans leur quête du bien-être.
Mais, par définition, les personnes qui subissent une dépression suivent souvent un traitement classique. Or, la combinaison entre un médicament de ce type et les champignons magiques n’est pas toujours limpide. Chaque famille d’antidépresseur possède, en effet, des contre-indications différentes qui complexifient l’association psilocybine-antidépresseur.
Différence entre psilocybine et antidépresseur
Dans la dépression, l’un des neurotransmetteurs naturels joue un rôle clé : la sérotonine. Elle est impliquée dans la régulation de l’humeur, de l’anxiété et du sommeil. Par conséquent, la plupart des substances qui sont supposées influencer cette maladie sont liées à la sérotonine.
Fonctionnement de la psilocybine sur la sérotonine
Pour rappel, la psilocybine est une substance active trouvée dans certaines variétés de champignons hallucinogènes. Après ingestion, la psilocybine est convertie en psilocine, connue pour ses effets sur les neurones liés la sérotonine. Elle va perturber le système sérotoninergique d’une façon surprenante et potentiellement favorable… mais comment ?
Quand la psilocybine imite la sérotonine
Curieusement, la psilocine possède une structure chimique similaire à celle de la sérotonine. Elle peut donc provoquer une réponse semblable à celle du neurotransmetteur. Le cerveau n’y voit que du feu et modifie son fonctionnement. Lorsque la psilocine arrive au niveau des neurones, les récepteurs 5-HT2A détectent une activité ressemblant à celle de la sérotonine et envoient le signal intracellulaire correspondant.
Cela entraîne une réaction en chaîne. D’un côté, certains réseaux de neurones se synchronisent ou se désynchronisent, ce qui impose des communications spécifiques ou inhabituelles à certaines aires cérébrales. En complément, l’organisme libère d’autres neurotransmetteurs comme le glutamate et la dopamine. Finalement, tout ceci affecte ainsi les régions du cerveau impliquées dans l’humeur, la perception et la cognition et entraîne des états de conscience modifiée : augmentation des sensations et des émotions, hallucinations, …
On dit donc que la psilocine agit comme un agoniste des récepteurs de la sérotonine.
Dans le contexte du traitement de la dépression ou de l’anxiété, la théorie actuelle est que la psilocine peut aider à « réinitialiser » les circuits neuronaux dysfonctionnels chez les personnes atteintes de ces troubles.
Médicaments : la stratégie de la recapture
Les médicaments basés sur la recapture de sérotonine obéissent à une règle très différente. La recapture de la sérotonine est un processus biologique crucial qui régule la concentration de sérotonine dans l’espace entre deux neurones : la fente synaptique.
En temps normal, un premier neurone libère une certaine quantité de sérotonine qui se lie aux récepteurs d’un second. Cet échange déclenche divers effets physiologiques et psychologiques. Une fois que la sérotonine a rempli son rôle avec le second neurone, le résidu est éliminé de la fente synaptique pour empêcher une surstimulation. C’est ce nettoyage qu’on nomme la recapture.
Bloquer le nettoyage des synapses
Les ISRS ont pour rôle d’empêcher le nettoyage des excédents de sérotonine. De cette façon, elle continue à se lier aux récepteurs et sa concentration augmente au niveau des neurones.
Combiner psilocybine et antidépresseurs ?
La psilocybine et les antidépresseurs ont donc un but similaire : favoriser des réactions sérotoninergiques qui agissent sur l’humeur ou la stabilité émotionnelle. En ce sens, les deux substances peuvent se concurrencer.
Prendre des antidépresseurs et des champignons à psilocybine en même temps implique donc de bien mesurer les implications neurochimiques. Dans le cadre d’une retraite à psilocybine ou d’un microdosage, il faut donc appliquer la méthodologie la plus adaptée au traitement et aux spécificités de chacun. Une supervision personnalisée est cruciale pour éliminer les risques et maximiser les sensations du voyage psychédélique.
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Contre-indication et interaction médicamenteuse
Comme nous l’avons vu, la psilocybine agit sur les récepteurs de la sérotonine dans le cerveau, tout comme de nombreux antidépresseurs. Cette action simultanée peut entraîner un excès de sérotonine, connu sous le nom de syndrome sérotoninergique.
Ce phénomène est rare, mais impose une certaine prudence car il peut être potentiellement dangereux. Aujourd’hui, il est donc recommandé de ne jamais combiner 2 substances sérotoninergiques sur la même période.
Au final, la prise simultanée est une contre-indication majeure des expériences avec de la psilocybine. Pour prendre de la psilocybine, il faut donc trouver un moyen d’interrompre le traitement, ce qui ne peut se faire que sous supervision médicale.
Sevrage et transition : penser au moyen terme
Pour ceux qui envisagent de suspendre un traitement antidépresseur pour pouvoir consommer des truffes magiques, la transition peut être délicate à gérer. En effet, le retour à la vie sans assistance chimique n’est pas facile.
Pour réussir cette étape, il est nécessaire de :
- Engager une thérapie temporaire pour obtenir du soutien ;
- Avoir une activité physique quotidienne pour libérer des endorphines qui peuvent améliorer l’humeur et réduire le stress ;
- Demander une supervision médicale pour surveiller les rechutes et les effets secondaires du sevrage.
Efficacité réduite
Par ailleurs, on suppose que les ISRS pourraient réduire l’efficacité de la psilocybine. D’après certains témoignages, les personnes qui suivent un traitement antidépresseur sur le long terme sont susceptibles d’avoir une expérience psychédélique très atténuée.
Une étude récente publiée dans le Journal of Psychopharmacology a été menée pour explorer les interactions entre les antidépresseurs et la psilocybine. Les résultats de l’étude montrent que l’utilisation concomitante d’ISRS ou d’IRSN avec la psilocybine pourrait réduire les effets psychédéliques de cette dernière chez 51% des participants à l’étude. Un mois après l’arrêt, ils n’étaient plus que 25,9% à témoigner d’une atténuation des effets.
Toutefois, les auteurs de l’étude reconnaissent certaines limites, puisque cette expérience se base sur des déclarations en ligne et non une observation en laboratoire.
FAQ antidépresseur et psilocybine
Peut-on combiner antidépresseur et psilocybine ?
Avant de se lancer dans une aventure de ce type, il faut envisager de purger son organisme de l’action des médicaments en trouvant un moyen sûr de diminuer puis d’arrêter le traitement durant plusieurs semaines.
Évidemment, cela doit se faire sous la supervision d’un médecin.
Combien de temps faut-il arrêter les antidépresseurs avant une retraite psychédélique ?
D’après les résultats de certaines études, la prise d’antidépresseurs peut diminuer les effets de la psilocybine durant au moins 4 semaines après l’arrêt complet du traitement. Le sevrage médicamenteux ne doit pas être entrepris seul ou à la demande de qui que ce soit.
Un médecin est la seule personne habilitée à conseiller ses patients sur la faisabilité.
Puis-je prendre de la psilocybine et du Prozac, du Deroxat ou du Zoloft ?
Si vous suivez un traitement de Prozac (Fluoxétine ©), Zoloft (Sertraline ©) ou Deroxat (Paroxétine ©), il est déconseillé de le suivre en même temps que des champignons magiques. Consultez votre médecin pour savoir s’il est judicieux de l’arrêter pendant quelques semaines. Pour rappel, l’arrêt doit se faire par paliers progressifs.
Puis-je prendre de la psilocybine et de l’Effexor ?
Il faut être prudent avec la combinaison d’un ISRN comme l’Effexor (Venlafaxine ©) et de la psilocybine.
Pour pouvoir prendre le psychédélique, il peut être nécessaire de suspendre le traitement d’Effexor. Cette démarche ne peut être réalisée que sous le contrôle d’un médecin généraliste ou psychiatre qui vous connaît.
Puis-je prendre de la psilocybine et du Laroxyl ou du Norset ?
Les TCA et les TeCA, comme l’Amitriptyline (Laroxyl ©) et la Mirtazapine (Norset ©), agissent en augmentant les quantités de sérotonine. Leurs effets sur le système cardiovasculaire étant peu prévisibles, il est déconseillé de les combiner avec la psilocybine, ni avec aucune substance psychoactive (MDMA, LSD, etc).
Puis-je microdoser la psilocybine et prendre des antidépresseurs ?
Le microdosage consiste à prendre une petite dose de psilocybine pour provoquer des effets relaxants sans voyage psychédélique. Il y a très peu de données scientifiques sur la question. Il est donc préférable de ne pas combiner les deux en attendant que la recherche se penche sur le sujet.
Puis-je participer à une retraite psychédélique si je suis sous antidépresseurs ?
Non, il n’est pas envisageable de faire une retraite psychédélique si vous suivez une prescription d’antidépresseurs. En revanche, il est possible d’y participer quelques semaines après avoir suspendu votre traitement. Notez que vous pourriez juste avoir une expérience psychédélique moins marquée que les autres participants.
Pour ce faire, demandez un rendez-vous avec votre médecin pour lui parler de votre projet et suivez ses recommandations.
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